home 



















 







































E-MAIL EXCHANGE
BETWEEN BORIS & LENE (NOV6’22)


Boris:

Salut salut !!
Ça roule ?

J'ai mis quelques jours mais voila mon retour sur ton installation.

Tout d'abord je tenais a te dire que j'ai beaucoup aimé !

Ce qui m'a fascinée c'est la multiplicité de ton œuvre: elle fait réfléchir à différents niveaux/dans différentes directions.
- Tout d'abord je trouve que c'est une ode à la fragilité, à l'imperfection. Dans un monde aseptisé ou le design de la ligne droite et le contrôle règne, ce genre de proposition artistique est éminemment politique. Je ne sais pas si c'est volontaire de ta part mais je trouve cela très important de se positionner de la sorte.
- Brillante idée que de mettre en avant le fait que ce soit un "brouillon" d'instrument. Notamment à travers la mise en lumière de la banderole qui nous fait comprendre que le processus de création est tout aussi, voire plus, important que l'objet de la création. Deux autres détails allant dans ce même sens m'ont également fait sourir/du bien: les cordes cassées et les câbles électriques connectés à rien. Encore une fois, le fait de choisir de laisser apparentes ces imperfections participe a un message global tres poetique : un dévoilement de la fragilité de cet instrument et, à travers lui, de nous même, de notre vie, de notre monde.

Ça me fait penser à une potentielle piste de réflexion : la vulnérabilité, l'erreur, l'imperfection sont-elles légitimes lorsque mises en scène, réfléchies, travaillées de la sorte? Peut être que le côté spectaculaire, la mise en lumière de cette fragilité n'est au final qu'un contrôle de plus?   
Je me contredis légèrement mais en gros, ce que j'essaye de pointer du doigt c'est le paradoxe qui existe entre la recherche de l'imperfection et la présentation cadrée et arrêtée (dans un centre d'art en une date précise...) d'un objet finis. Mon ami Ollivier Coupille m'a parlé d'un type de bol traditionnel Coreen qui, à travers ces imperfections, exprimait de manière poétique et spirituelle un certain nombre de choses sur la vie, le rapport à la nature... A l'ère de la reproduction technique et de l'industrialisation, de grandes compagnies exportatrices de bols ont continué à faire en sorte que ceux-ci soient imparfaits. Du coup, le côté spirituel de la chose s'égare complètement : il s'agit d'une imperfection contrôlée... ce n'en est donc plus une...   
A méditer je crois. 

- Un autre aspect que j'ai beaucoup aimé c'est le lien avec le combat feministe que tu arrives a faire a travers cette création. C'est fantastique d'être capable d'inscrire une pièce dans tous ces champs de réflexion.   
- Malheureusement je n'ai pas pu assister à la performance mais la bande son de l'installation m'a légèrement laissé sur ma faim pour être tout à fait honnête. J'aurais aimé quelque chose de plus marqué, plus fort, plus massif, plus inscrit dans cette même direction : imperfection assumée, brouillon, recherche intense, tentative d'exploration de différents aspects sonores de ce piano démembré.   


C'est tout pour le moment !

Franchement bravo, chapeau bas, tout ça tout ça. Impressionnant ! Hâte de voir la suite, le développement de ta pratique, la prochaine création !

Bisous.




Lene:

Wesh!
Merci pour tout ces commentaires. Vraiment j'apprecie énormément. C'est précieux de pouvoir échanger sincèrement sur ce genre de truc ... J'en avais besoin!
Déjà, j'apprecie à quel point tu reconnais et articule aussi bien ce que j'ai essayé de communiquer. (Ça me rassure lol) Sur ce que tu dis par rapport à "l'imperfection controlé" – j'y ai aussi beaucoup réfléchi. C'est à dire que cette oeuvre était principalement née comme une sorte de réaction à ce qui se passait autour de moi et dans mon champ d'étude – fortement lié au design et au monde numérique. Ça m'énérvait qu'il y ait aussi peu de discussion autour de l'ésthetique numérique et du design des technologies associées au numérique. Que ce qui est produit soit aussi éloigné d'une matière touché (literalement) par nos mains, par nos mouvements. Donc, par exemple, je voulais ouvertement mettre en juxtaposition des touches faites en bois qui sont dénudée par le fait qu'elle sont imparfaites, comme si elles étaient toujours en train d'être construite, montrant les couches de fabrications qu'elles incarnent, faitent à la main, en contraste avec les touches faites à la machine (imprimante 3D, 3D modelling, etc, toutes blanches [même quand c'est sensé être une touche noire], etc). Donc là dessus il y avait pas mal de contrôle parceque j'essayais de mettre en avant une émotion et un positionnement, qui est dans le fond, comme tu le dis toi même, plutôt politique. Après, dans le contexte de l'exposition comme environnement contrôlé, la manière dont j'avais essayé un peu de transgresser cela lors de mon degree show c'était en laissant le piano ouvert au gens. C'est a dire que tu avais le droit de le toucher, de le jouer comme tu voulais, et donc de le casser, de le détruire. J'avais insisté la dessus parceque justement la contradiction entre environnement controlé et objet imparfait me gênait (malgré le fait que je voulais le placer près des autres oeuvres plus 'parfaites'), et donc je pensais que à travers l'interaction de l'audience avec l'oeuvre je pouvais briser ce manque de communication. De plus, mon degree show étant dans l'espace dedié à 'interaction design', je trouvais important d'utiliser cette association de mots 'interaction' et 'design' mais comme antithèse. C'est a dire que les autres oeuvres montraient des environnement numériques interactifs ou tu aboutis quelque chose d'une manière ou d'une autre, alors que pour moi tu travaillais et tu détruisais quelque chose qui n'était même pas en position d'accomoder tes besoins (a bad interface design). Mais pour Cryptic j'ai pas pu faire cela et je l'ai aussi accepté, pour tester une autre forme d'exposition de l'objet. Vraiment je pense que ma cryptic nights etait au fond un test pour moi. Je voulais experimenter le plus possible parcequ'on me laissait le faire, sans savoir si ça allait marcher ou pas, sans prédire le résultat. C'était aussi tourner sur l'axe de la performance plutôt que sur l'axe de l'interaction. C'est à dire que l'installation était sensé être l'ombre de la performance, de ce qui avait était fait, et donc plus un espace un peu de rêve où tu te souviens et tu découvre en même temps la voix de l'objet celon moi même, plutôt que de juste jouer avec sans trop savoir le potentiel de l'objet parceque tu ne le connais pas bien et même pas du tout. De suggérer quelque chose qui est effectivement un brouillon, de rentrer dans mes pensées.
Je pense qu'au fond de placer un objet aussi explicitement imparfait dans un environnement contrôlé est quelque chose d'assez étrange pour moi, parceque c'est une contradiction factuelle du positionnement. C'est à dire que l'action que l'objet suggère d'entreprendre est immédiatement arrêté et même interdit par l'environnement dans lequel il est placé, comme un bocal transparent dans lequel un poissoin ne peut pas nager plus loin que cettre frontière visible seulement dans le fait qu'elle distort ce que l'on projette. Donc on donne l'illusion de pouvoir exister librement mais enfait il y une frontière très conséquente. Cela dit, je pense qu'il serait plus important pour moi dans le future de placer ce piano dans un contexte complètement différent et plus imparfait et incontrolé lui aussi. Mais bon, peut être que ça fait du bien de mettre un objet imparfait dans un lieu parfait quand même ? Je ne sais pas.
Par rapport à ton avis sur la bande son, j'apprécie aussi ce que tu dis. Perso j'aime bien ce que j'ai pu jouer et enregistrer, mais dans le fond je pense que ce que j'ai choisi illustre mal l'essence de l'objet. Et j'ai très vite senti exactement ce que tu décrit – que enfait j'aurai du foncer droit dans le fait d'assumer l'imperfection de l'objet dans le son lui même. J'ai plein d'autre enregistrements qui sont plus cacophoniques et pleins de textures que ceux que j'ai choisis. Je pense que je l'ai fait par intimidation de l'espace contrôlé et de la formalité de la performance elle même. Ce qui à fini par se passer c'est que vers la fin de ma performance j'ai senti que ce que je jouait n'était pas à la hauteur de ce que je pensais méritais d'être exprimer à traver le piano – alors comme dernière touche improvisé j'ai commencé à désaccorder le piano en jouant les cordes simultanément, pour exprimer l'âme et le chaos. Tout ça pour dire que j'ai pas mal appris à travers tout ça. Notamment que il ne faut pas de laisser être intimdé au risque de diminuer le potentiel de quelque chose et ce que l'on ressent vraiment. Cela dit, je pense aussi que j'avais peur d'être prétentieuse à foncer droit dans une performance de noise et de chaos, au risque de faire quelque chose qui n'avait pas de substance (par peur de mon manque d'experience).
Voila!

Merci encore pour ton email. Ça m'a aidé à verbaliser des choses en moi qui n'arrivaient pas à sortir.
j'espere que ca va!!
Besos